Nulle part

C’était la première fois que je votais dans cette nouvelle ville où j’ai emménagé. Heureuse d’aller voter. De voir plus de gens, une soixantaine de voitures, un ballet constant de votant·es, tandis que j’avais l’habitude d’aller voter dans un si petit bureau de vote qu’on y était toujours deux ou trois, pas plus. Si peu de monde d’ailleurs que le maire pouvait même se permettre de nous raccompagner jusqu’au parking. Ici, point de cela. Juste une vague de gens qui venaient voter. À vélo. En moto. À pied. En voiture. Avec chien. Sans chien. Avec sac. Avec cabas. Sans cabas et sans sac. Avec enfant ou sans. Avec la tenue du dimanche, comme moi, ou en jogging. Avec le soleil. Sans soleil. Avec masque. Sans masque. Avec casque. Sans casque. Avec le sourire souvent. Avec le stress. Sans stress. Après ce beau geste qui est la liberté de voter, le désarroi contraste avec l’allégresse d’un dimanche citoyen. Pas tant dans une vague brune qu’on voyait venir. Plutôt dans la hauteur d’un résultat aberrant partout, point d’empathie, nulle part, juste une détresse individuelle, chacun·e ne pensant alors qu’à sa petite personne. Peu nombreuses sont les personnes qui ont pensé à la souffrance des autres, humains et non humains. Vivants. Respirants. Existants. Disparu alors le sentiment d’être venu·e voter en un seul et grand mouvement, même si à l’opposé le parti de l’abstention subsiste. Parce que venir, on pouvait ou ne pouvait pas. Parce que les gens ont souvent leurs raisons et les raisons paraissent parfois plus grandes que notre existence commune même. Finalement, dimanche, celles et ceux qui ont eu le temps vinrent pour dire leurs maux, leur incompréhension, leur colère, leur humiliation. On pense généralement que voter est simple. Voter n’est pas simple. Pour certain·es c’est contraignant, pour d’autres c’est angoissant. Pour la plupart c’est un privilège. Pour une minorité c’est un geste qu’on ne nous explique pas vraiment. En général, ce n’est pas juste mettre un bulletin dans une enveloppe. Tous les bureaux de vote ne sont pas « accessibles» au sens où tout le monde l’entend. Toutes les sensibilités ne se retrouvent pas dans les listes électorales. Maintenant certes il y a des chatons, des pirates et d’autres entités et êtres sentients. Cependant il n’y a pas l’entièreté de la France. Beaucoup ne connaissent pas leurs députés, leurs représentants•es. Or, nous n’avons pas toustes les mêmes canaux d’informations. Or nous n’avons pas toustes la même vie. Or nous n’avons pas toustes subi la même chose. Par contre, oui, nous subissons le système actuel. Par contre, oui, nous souffrons d’un monde qui n’est plus le même qu’avant. En fait, oui, nous exerçons des droits individuels et nous faisons des choix égoïstes pour beaucoup mûrement assumés et réfléchis. Mais au prochain scrutin, nous exercerons un droit collectif. Un droit contre les discriminations de toutes les sortes. Un droit contre les sceptiques (politico-climato-tout). Un droit contre le repli sur soi. Un droit contre le manque de considération envers les autres-que-nous. Un droit contre l’exclusion. Un droit contre la haine et le manque d’ouverture d’esprit. Faire corps pour agir. Et avancer dignement contre les obscurantismes.

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